Monsieur Rachid Madrane, Président du Parlement bruxellois,
Monsieur le Secrétaire perpétuel,
Chers Consœurs et Confrères Académiciens,
Chers futurs Consœurs et Confrères Académiciens,
Chers Membres du Personnel de notre Académie,
Mesdames et Messieurs en vos titres et fonctions,
Je suis heureux de vous accueillir à l’occasion de la séance de réception des nouveaux Académiciens.
C’est peu de le dire : l’année 2020 est exceptionnelle, malheureusement exceptionnelle. Je n’ai pas l’intention, ni le temps et ma prise de parole n’est sans doute pas non plus l’occasion pour décrire l’étendue de la catastrophe que la pandémie du COVID 19 a provoquée.
A l’Académie comme ailleurs, il y a eu beaucoup de perturbations. Certains d’entre nous ont été malades ; heureusement, aucun décès parmi nos rangs n’est à déplorer.
Nos travaux ont été entravés. Depuis la mi-mars, nous ne nous sommes pas ou peu rencontrés. Nous avions projeté de concentrer nos réflexions sur « La transition vers un futur désirable » … ce n’est que partie remise. Et je me réjouis qu’en novembre prochain, à l’occasion d’une « classe commune », nous puissions, sous l’égide de Luc Chefneux, directeur de la classe « Technologie & Société », commencer à échanger sur ce sujet qui m’apparait aujourd’hui d’une actualité brûlante.
Le ralentissement de nos activités durant ces derniers mois n’a pas empêché l’Académie de se mobiliser. Il suffit de consulter les revues de presse pour s’en convaincre. Plusieurs d’entre nous ont notamment attiré l’attention sur l’importance d’une approche tant rationnelle que sensible du problème face au populisme des postures adoptées par certains politiciens. Je pense à Bernard Rentier qui a alerté le grand public de l’impertinence du catastrophisme des chiffres alarmants diffusés par les médias. Plusieurs communiqués de presse ont circulé pour pointer du doigt le manque de transparence et de cohérence de Sciensano. Notre Secrétaire Perpétuel a dénoncé au journal télévisé de la RTBF l’improvisation, l’opacité, les prises de position parfois arbitraires et incompréhensibles des décideurs. Il a aussi appelé à davantage de responsabilité face aux phénomènes sociétaux et à la construction de réponses concrètes.
En tant qu’organe institutionnel de la recherche et de la culture en Fédération Wallonie-Bruxelles, l’Académie entend s’affirmer en tant que centre de compétences et jouer son rôle.
Il s’agit maintenant de poursuivre. Le travail doit continuer avec comme objectif de développer des réflexions de fond sur les causes de la catastrophe et sur les dérèglements qui menacent le « futur désirable ». Il faut pouvoir investir sur ces questions autant, sinon davantage d’énergie que sur la gestion de la crise du coronavirus qui promet bien ne pas être la dernière du genre, si on ne s’attaque pas au fondement des problèmes. Car s’il y avait bien un enseignement positif à ressortir de l’histoire récente, ce serait justement que, lorsque tous les citoyens se sentent menacés et que la volonté politique est au rendez-vous, des changements très radicaux peuvent être largement intégrés à nos modes de vie. Cette dynamique, nous devons pouvoir l’investir sur des questions essentielles parmi lesquelles le réchauffement climatique, la perte de la biodiversité, le déboisement, la croissance des inégalités, la consommation des ressources non renouvelables, la pollution de l’air, des eaux et du sol tiennent une place essentielle.
Nous sommes au bord du gouffre. Le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat créé par les Nations-Unies en 1988 brosse un panorama apocalyptique des années à venir. Il faudra s’attendre à des épisodes caniculaires insoutenables. En 2050, les villes belges pourraient connaître en moyenne 41,5 jours de canicule par an, contre 5 actuellement. En Belgique, la facture du réchauffement climatique pourrait s’élever en 2050 à 6,5 milliards par an. Et, d’ici la fin du siècle, le niveau de la mer à Ostende pourrait s’élever de 39 à 69 centimètres. Au niveau mondial, des centaines de milliers de personnes seront condamnées à l’exil pour fuir des régions devenues invivables.
Les inégalités, que la pandémie a mises en exergue, seront plus grandes encore … inégalités sociales, inégalités entre les générations, inégalités entre les états de santé. Ce sont les populations les plus précarisées qui ont le plus souffert de la pandémie. Ce sont aussi elles qui souffriront le plus des effets du réchauffement climatique.
La communauté scientifique ne l’ignore pas. Elle le clame : il faut changer nos modes de vie à l’origine de ces désastres annoncés. Dans le discours que je prononçais lors de la séance d’ouverture de l’année académique voici tout juste un an, je m’interrogeais sur le pouvoir destructeur d’une croissance essentiellement axée sur les revenus financiers. Il est grand temps de laisser travailler les ingénieurs, les agronomes, les économistes, les urbanistes, les sociologues, les chimistes … pour dégager des perspectives nouvelles vers un futur « désirable ». Concernant mon métier d’architecte-urbaniste, on doit pouvoir mener des réflexions tant sur les lieux de vie privée que sur les espaces partagés. Nos villes sont inadaptées à une évolution positive. Il faut inverser le mouvement : plutôt que d’urbaniser la campagne, amener cette dernière au cœur des cités. Les artistes participeront à cette mobilisation. Et ils y participent déjà depuis longtemps. Voici quelques semaines, plusieurs grands théâtres de Belgique, de France et d’Allemagne se sont unis pour organiser une réflexion autour de la crise climatique. Fabrice Murgia déclarait que l’Europe peut être le continent de la conscience verte. Et notre confrère académicien, Jean-Pascal van Ypersele de poursuivre dans un article récent du Vif en affirmant que cela n’exclut en rien la croissance économique et la création d’emplois.
Je le disais en commençant ma prise de parole. La crise du covid a ralenti nos travaux. Seules deux classes ont pu désigner des nouveaux membres … pas n’importe quels membres bien sûr, mais aussi pas n’importe quelles classes … celle des Lettres & des Sciences morales et politiques … et puis la classe Technologie & Société … qui me semblent l’une et l’autre rassembler des compétences essentielles pour participer aux recherches vers un futur pleinement vivable et puis surtout désirable.
C’est dans cette perspective que j’ai l’honneur d’ouvrir l’année académique 2020/2021 et que je laisse la parole à notre Secrétaire Perpétuel, Didier Viviers.
Daniel Dethier
Directeur de la Classe des Arts à l’Académie Royale de Belgique,
Président de l’Académie Royale des Sciences, des Lettres et des Arts de Belgique.
Bruxelles, le 3 octobre 2020