Observations écrites sur l’étude d’incidence concernant la demande de la Société Régionale Walonne du Transport ; en vue d’obtenir un permis unique pour la réalisation d’une ligne de tram entre Sclessin et Coronmeuse avec stations et parkings-relais, d’une antenne vers Droixhe et d’un dépôt-centre de maintenance à Bressoux, sur le territoire de la Ville de Liège.
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A Liège, le tracé proposé pour le tram s’opère à plusieurs endroits au détriment des qualités proprement urbaines de la ville, qualités qui devraient pourtant se trouver au cœur des préoccupations des décideurs.
Ce constat s’explique partiellement par :
- le fait que le tram reste considéré comme un but et non un moyen ;
- l’absence de compétences spécifiques en matière d’urban design dans le
chef des techniciens en charge des études.
A Liège, l’histoire semble repasser les plats. A-t-on déjà oublié les dégâts causés à la ville dans les années 1960-70 par la mise en application des études des spécialistes (ceux-là même qui apparaissent comme les prédécesseurs des spécialistes d’aujourd’hui) sur la pertinence des autoroutes urbaines ?
Nous ne pouvons pas aborder toutes les questions que le tracé du tram pose. Les quelques réflexions ci-dessous s’attachent uniquement à la place et à l’esplanade des Guillemins dont nous sommes les concepteurs « non écoutés », alors que nous étudions le quartier depuis bientôt 10 ans.
1. Le passage du tram au centre de l'esplanade et de la place des Guillemins est une aberration urbanistique. Selon ce tracé, il empêchera l'utilisation de l'espace public, son animation, sa convivialité, l'organisation d'évènements… En un mot, le tram va tuer le concept même d'esplanade. Cette dernière a été conçue selon un axe longitudinal, comme un geste fort, depuis la gare jusqu'au parc de la Boverie. Mais, c’est aussi et surtout son efficacité pour retisser des liens entre les quartiers Guillemins et Fragnée qui est visée en dégageant des liaisons transversales depuis la rue Paradis jusqu’à la rue Bovy. Dans cette optique, que les technocrates n’ont pas comprise, le site propre du tram, demeurant bien visible sur l'esplanade, devrait s’établir sur la limite sud de l’esplanade (rue Bovy), entre les logements et les futurs bureaux. Cette déserte pourrait « concentrer » les circulations sans nuire aux accès des parking ou réduire les places de stationnement. Une gare bus/tram/taxi/vélo implantée à l'angle des rues Bovy et Varin, juste au sortir de la gare, permettrait aussi d'assurer la multimodalité;
2. Le passage du tram au milieu de l'esplanade est assimilable à un acte criminel. Même en empêchant les enfants de jouer, les jeunes de se réunir ou les personnes âgées de se promener, il y aura des accidents graves. Les responsables devront assumer … leurs responsabilités ;
3. Le passage du tram au milieu de l'esplanade est un non-sens en termes de transport, car celui-ci devra y circuler à une vitesse très lente sur près de 500 m ;
4. Enfin, il semble que le tram soit un prétexte à l’aménagement d’une esplanade de piètre qualité, en contradiction avec le concept initial (notamment la transversalité nord-sud), sans cohérence ni continuité avec les aménagements en chantier place des Guillemins. Rappelons que la place, en travaux depuis septembre 2011, a toujours été prévue comme la première étape de l’esplanade, selon un planning soumis à des fonds européens.
Ces questions restent difficiles à débattre. Il semble que la question du passage du tram au travers l'esplanade des Guillemins demeure taboue.
L’étude d’incidence reflète bien ce malaise. Elle nous semble d’ailleurs lacunaire sur plus d’un point : documents graphiques de la place obsolètes, méconnaissance des aménagements en cours et futurs sur cette dernière, conflits avec le PRU ... Il y est fait mention, à plusieurs reprises, comme s’il s’agissait d’un impératif ou d’une règle, de la nécessaire symétrie induite par la gare sur le dessin des espaces publics. Nous nous étonnons de ce retour aux élucubrations du projet urbanistique de Santiago Calatrava, notamment caractérisé par la définition d’un axe de symétrie de part et d’autre d’un canal. L’esplanade n’est pas un boulevard haussmannien, nous avons suffisamment démontré qu’elle doit se tisser sur l’histoire de la Ville, ses tracés, sa typologie (voir par exemple la Rambla de Barcelone).
On nous répond que c'est pour permettre une photo du tram face à la gare …
Aucun voyageur n’aura conscience de cet axe de symétrie, sauf peut-être le chauffeur du tram. On évoque même de nouvelles expropriations rue Paradis. Surréaliste ? Pas à Liège qui souffre encore aujourd’hui des visions des spécialistes du transport des années 1960, obnubilés par l’automobile et qui ont massacré la Cité Ardente à grands frais. La nouvelle génération des spécialistes du transport n'a pas encore compris que la ville vaut pour ceux qui la vivent … que le tram est un moyen de mieux vivre, pas un but, une vitrine ou un objectif technologique qui, en définitive, fera fuir les habitants.
Le tram est une magnifique opportunité de rendre la ville plus agréable, de concevoir des aménagements publics conviviaux. Nous pensons que cette occasion risque non seulement d'être ratée, mais bien pire : que le tram aura un effet négatif sur la ville. Les aspects urbains semblent en dehors des préoccupations des responsables. Les équipes comportent-elles des urban designers ? Nous nous étonnons, en effet, du manque de sensibilité et d'imagination du dossier au niveau aménagement urbain. Par exemple, les coûteuses « trémies liégeoises » sont rebouchées. A-t-on évoqué leur recyclage en parking ?
Fait à Liège, le 13 mai 2013